« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère » (Aden Arabie, 1931)

Revue ADEN

mercredi, 21 septembre 2022 12:17

Allons au-devant de la vie ! La question des loisirs n°19 de la revue Aden. Paul Nizan et les années 30 (octobre...

mercredi, 21 avril 2021 18:34

Devant la guerre Septembre 1938-septembre 1939 n° 17-18 de la revue Aden. Paul Nizan et les années 30   (avril...

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Jean-Paul MOREL
(intervenant au colloque de 2005)

" Je me souviens... " : Pourquoi parler à la première personne, lors même que mon " cursus " n'a rien de singulier ? Mais, bon, acceptons le jeu.
Ce que " je " puis dire pour commencer, c'est que je n'avais pas 20 ans... j'en avais 16. J'étais en Terminale S , avec pour objectif, après le Bac, de poursuivre en philosophie. Si je n'avais pas déjà eu de conscience politique, la " Guerre d'Algérie " – que l'on n'appelait pas à cette époque, rappelons-le, une guerre... – était là pour me / nous la rappeler : pour éviter l'enrôlement, et obtenir un sursis, je dus préparer la " P. M. Air ", – détail de l'histoire aujourd'hui aussi oublié...
Alors, la découverte de Nizan ? Ce fut par la " bombe " Sartre, lancée en 1960 par François Maspero, en préface à la première réédition – depuis 1931 – de Aden Arabie . Le " passeur " : mon professeur de philosophie, – que je puis bien nommer, Michel D'Hermies, lequel, sans être aveuglément " sartrien " comme c'était la mode (l' " excitantialisme ", comme disait Cami*), était tout simplement un professeur et un homme éclairé, et éclaireur.
Le " thème " sur lequel s'est cristallisé ce premier intérêt ? Le débat, naturellement, autour de l'engagement des " intellectuels ", et plus spécifiquement encore, le positionnement possible par rapport au Parti communiste – à l'intérieur ou hors de lui. L'époque nous faisait effectivement remonter trente ans en arrière...
La place n'est pas ici de rappeler les passes d'armes auxquelles s'étaient livrés et se livrèrent Sartre et Camus, Sartre et Merleau-Ponty, Sartre et le Parti communiste... Rappelons seulement que cela fit alors les belles heures de la Mutualité, qui réussit par exemple à faire salle comble avec un sujet aussi épineux que " Y a-t-il une dialectique de la nature " ? Voilà pour l' " atmosphère ".
La suite Nizan ? Elle se fit au rythme des rééditions qu'on voulut bien nous livrer. Côté essais, cette même année 1960, François Maspero rééditait Les Chiens de garde (originellement édité en 1932) – qui nous rappelait du même coup une autre victime de l'Histoire : Georges Politzer, auteur notamment de La Fin d'une parade philosophique : le Bergsonisme (publié originellement sous le pseudonyme de François Arouet en 1929, réédité seulement en... 1968, chez Pauvert). Le premier numéro de revue d'hommage à Nizan le fut d'ailleurs aussi à la veille de 68 : le numéro 1 de la revue éphémère Atoll. Et, vraiment au compte-gouttes, il nous fut offert de découvrir et redécouvrir le romancier... Nous eûmes même l'heur (bon-) de rencontrer " Rirette ".

" Nizan... Aujourd'hui ! " : la quaestio reste la même et entière, et nous attendons beaucoup de la publication de l'intégrale de ses articles, sous la responsabilité d'Anne Mathieu, chez Joseph K. (articles qui étaient, " à mon époque ", quasi inconsultables...). L'image du " traître ", dressée et à plusieurs reprises réanimée par le P.C., a fait long feu, grâce à Sartre, puis avec la première publication de ses " écrits et correspondance " par Jean-Jacques Brochier (encore chez François Maspero, en 1970), qui procéda dans sa longue présentation à une nouvelle lessive. Mais nous restons partagé. À la différence d'autres " intellectuels " du P.C., – Jean-Richard Bloch par exemple -, Paul Nizan semble avoir été un parfait " apparatchik ", qui, jusqu'au pacte germano-soviétique, en a apparemment et totalement accepté les diktats. Ce qu'il aurait pu devenir après, nous ne le saurons jamais. Comme chez nombre d'écrivains et artistes " de l'Est ", Paul Nizan nous semble avoir mené, de par son ouvre " purement littéraire ", double vie. Le devenir, depuis, d'autres " intellectuels " du P.C. ne nous a pas davantage éclairé.
* Je parle bien ici, non d'Albert Camus, mais de l'auteur de La machine à aimer , sous-titré "roman excitantialiste", paru aux Éditions Baudinière en juin 1948. Donc Cami, né à Pau en 1884, mort à Paris en 1958, un des grands humoristes de l'avant- et de l'après-guerre ­ et des deux guerres ! ­, maniant aussi dextrement le crayon que la plume. Après avoir écrit, dans les années 30, Les Mémoires de Dieu-le-Père , Le Jugement dernier ("roman prématuré"), il était tout à fait armé pour s'adapter à la mode philosophique du moment, et même devancer Sartre.

[Jean-Paul Morel, né en 1943 dans la Somme, études secondaires à Amiens (80), supérieures à la Sorbonne. Successivement professeur de philosophie, rédacteur pour diverses encyclopédies, journaliste et critique littéraire au Matin de Paris , éditeur sous l'emblème des Éditions Séguier. Est parfois confondu avec Jean-Pierre Morel ( Le roman insupportable ), avec qui il partage certains mêmes sujets de préoccupation. A participé et participe au " Maitron ", co-auteur d'une biographie d'Élie Faure, trésorier de l'Association des Amis de Henry Poulaille..]