Presse
Le Monde diplomatique, novembre 2007
Aden - Paul Nizan et les années trente Dans la dernière livraison, consacrée à « Féminisme et communisme », un article sur l'instrumentalisation littéraire du thème communiste dans le roman de Louis Aragon, Les Cloches de Bâle, Dolorès Ibarurri, Marie Curie, les trois premières femmes ministres du Front populaire (à une époque où les femmes n'avaient pas encore le droit de vote...), etc.
Le Magazine littéraire, janvier 2008
La revue des revues
Aden, comme il se doit, aborde Paul Nizan et les années 30 : riche et gros dossier « Féminisme & Communisme » évoquant Henriette, sa femme, ou Simone Téry, son égérie, sur fond de Front populaire, guerre d’Espagne et montée du nazisme.
Serge Safran.
Courant alternatif, janvier 2008
Dans cette dernière livraison de la revue d'études nizaniennes, on trouve une quantité impressionnante d'approches et de personnages différents. Et c'est bien cela qui en fait l'intérêt. D'abord parce que ce foisonnement reflète à merveille ce que furent les années d'entre les deux guerres, ces multiples respirations entre deux horreurs capitalistes. Une période souvent mal comprise et qui attire des jugements lapidaires, des salves d'amour ou de haine distribuées sans nuances. Il importerait pourtant de mieux la renifler afin de mieux saisir notre présent.
Le communisme dont il est question est bien celui de cette période, du Parti et de ses dissidences, parfois, mais rarement, libertaire. Le féminisme également, qui ferait bondir bien des radicales, et même des radicaux. Evidemment, souvent « femmes de ... » comme M.-C. Vaillant Couturier entre père et mari, elles revendiquent l'égalité mais sont rarement critiques de la famille et du patriarcat. Mais après tout, ce féminisme-là d'il y a 70 ou 80 ans, qui se pose la question de la spécificité de l'oppression des femmes - sont-elles seulement des prolétaires ? - vaut largement celui, post-moderne, de la parité dans les conseils d'administration ou sur les listes électorales. Et, au moins, c'est le plus souvent en termes de classes que les questions sont posées.
On croise des femmes assez connues des milieux militants, comme Magdeleine Paz, Federica Montseny, Dolores Ibarruri, Ida Mett ou Suzanne Buisson mais on découvre aussi des figures trop éclipsées comme Alice Gerstel l'épouse, elle aussi !, de Rühle, comme Simone Téry ou Andrée Viollis.
Citons, pour terminer, cette phrase de Magdeleine Paz, révolutionnaire, pacifiste et antistalinienne : « Il n'y a pas d'écriture féminine, pas de pensée féminine… Il n'y a que des femmes qui s'enferment dans des genres (littéraires) dévolus socialement aux femmes. »
Les prochains numéros de la revue porteront sur « Pacifisme et antimilitarisme », en octobre 2008 ; «Anticolonialisme des années 30 », en octobre 2009 ; « Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la république espagnole (1936-1939)» en octobre 2010.
J-P.D.
Alternative libertaire, mai 2008
À l'occasion de sa sixième livraison, la revue Aden. Paul Nizan et les années trente consacre un épais dossier à la question des liens entre « féminisme et communisme ». Le principe éditorial de cette revue est d'explorer les résonances de la politique, de la culture, de l'histoire sur les écritures (qu'elles soient littéraires ou journalistiques) de la décennie qui précèdent la Seconde Guerre mondiale. Le numéro précédent fut consacré aux « Intellectuels, écrivains, journalistes aux côtés de la République espagnole ».
Il est utile de rappeler que le mouvement des femmes n'est pas né dans les années 1960 et 1970, mais qu'il a une longue histoire et que la période de l'entre-deux- guerres fut particulièrement riche, comme le montre le très fourni dossier de « Textes et témoignages retrouvés » que le lecteur peut découvrir dans ce numéro. Les inégalités dans la vie quotidienne et/ou la vie professionnelle, notamment littéraire, suscitent des réflexions toujours aussi pertinentes. Les militantes du mouvement libertaire trouvent leurs places dans ce dossier où sont étudiés aussi bien les parcours de Federica Montseny que des Mujeres Libres, et l'on peut lire un texte d'Ida Mett sur la politique du Front populaire français et la situation en Espagne.
Le lecteur trouvera aussi de nombreux comptes rendus de lecture sur l'actualité éditoriale consacrée à la littérature ou l'histoire des années trente.
Le Grognard, juin 2008
À tous ceux qui doutent parfois du bon état de santé du secteur de l'édition française, à tous ceux que désolent les publications de circonstances, les parutions en rafales relatant les moindres faits et gestes des stars du show-biz, du sport ou de la politique, à tous ceux qui ne supportent plus les best-sellers préfabriqués, les revues élitistes consensuelles et branchées, à tous ceux-là j'ai envie de dire : ne perdez pas espoir. D’irréductibles gaulois continuent encore et toujours à lutter contre la marchandisation et la peopolisation de la « chose littéraire ». Vous en voulez la preuve? Et bien, procurez-vous au plus vite le dernier numéro de la revue Aden, Paul Nizan et les années trente (octobre 2007) consacré à la question des liens entre le féminisme et le communisme durant l'entre deux guerres.
La question de l'émancipation féminine et de la défense des droits fondamentaux des femmes s'est très vite retrouvée mise en parallèle avec les différentes idéologies de libération des individus, qu'elles soient libertaires, individualistes ou collectivistes. Et la difficulté de savoir si la question féminine n'était qu'une dimension d'une problématique plus globale (l'émancipation de tous les individus) ou un problème spécifique et indépendant est naturellement apparue.
Les différents contributeurs du n°6 d'Aden ne nous apportent bien entendu pas de réponses définitives sur ces interrogations - aussi insolubles sans doute que la célèbre énigme de l’œuf et de la poule - mais ils nous offrent, aux travers de leurs études des éléments de réflexion qui ne manquent pas d'intérêt.
Tout d'abord, nous découvrons - ou redécouvrons - une superbe galerie de portraits de femmes qui, à des titres variés et à des degrés divers, ont marqué l'histoire du féminisme : Magdeleine Paz, Louise Weiss, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Simone Téry, Andrée Viollis, Madeleine Jacob etc. Autant de femmes, très différentes les unes des autres, dont les combats ne sont pas toujours les mêmes, mais qui se retrouvent quasi toutes sur un point : la femme est un homme comme les autres ! Et affirmer cela dans les années 30 demande un courage évident et sous-entend, pour celles qui choisissent de mener cette lutte un acharnement indéfectible et quotidien. Et pas seulement contre les « forces réactionnaires», mais aussi, et surtout, paradoxalement, contre les idéologies dites «progressistes» et émancipatrices, notamment le communisme. Car si une partie des grands leaders populaires trouve très « logique » que l'égalité des sexes soit sous-entendue dans le principe de l'égalité pour tous, dans les faits, les engagements publics comme privés restent très mesurés.
Une lettre d'Henriette Nizan à Paul Nizan (reproduite p. 277 et suivantes), pleine de drôlerie et d'élégance, prouve d'ailleurs de manière criante que, si certains hommes trouvent tout à fait normal que les femmes soient de plus en plus nombreuses à se hisser dans le monde des lettres, de la pensée, de la politique... elles ne doivent pas pour autant trop délaisser leurs charges « naturelles » : s'occuper des enfants, du foyer, de l'intendance... Plus de droits, pourquoi pas... Mais pas moins de devoirs !
La seconde partie de ce sixième numéro d'Aden est bien entendu consacrée plus spécifiquement à Paul Nizan. Le Nantais que je suis est obligé d'accorder une mention spéciale à l'étude que signe Jean-Louis Liters sur la « Rue de la paix ou Nizan à Nantes en pleine Conspiration » qui nous permet de vérifier à quel point Nizan a alimenté la fiction de sa Conspiration à la source des souvenirs très précis de son passage dans la Cité des Ducs.
Stéphane Beau.
Dissidences, décembre 2008
Toujours excellente, à la fois dans ses choix thématiques et dans la rigueur sans faille des articles abondamment pourvus de notes de bas de pages concises mais précises, la revue annuelle de l'équipe du Groupe Interdisciplinaire d'Etudes Nizaniennes (G.I.E.N.) de Nantes propose pour 2007 un copieux numéro sur les rapports entre le(s) combat(s) féministes et le communisme, illustré comme les numéros précédents par Jean-René Kerézéon.
Quasiment toutes les sensibilités du féminisme sont confrontées à cette « grande lueur à l'est » (Jules Romains, Les hommes de bonne volonté, tome 29), qui apparaît, de prime abord, comme « une aurore » annonciatrice de temps nouveaux et comme « un incendie » capable de réduire en cendres tout l'appareil répressif et idéologique dont les femmes sont victimes. Karl Marx n'avait-il pas diagnostiqué que le degré d'évolution d'une société se mesure à la condition faite aux femmes ?
L'ensemble des contributions est construit autour de trois attitudes, trois tendances, trois chemins empruntés par les féministes. La première manière identifie le combat des femmes à celui des opprimés masculins, suivant en cela l'axiome : « Les femmes sont des prolétaires comme les autres ». Donc le problème particulier des femmes n'en est pas un et tout devrait se résoudre avec le bouleversement social. La seconde, elle, introduit un distinguo entre les deux combats car, la femme cumulant « les aliénations (économiques et conjugales) » (p. 13), elle est en quelque sorte « le prolétaire de l'homme » suivant une formule bien connue. La troisième attitude consiste en une mise à distance. A travers des parcours comme ceux de la romancière et journaliste communiste Simone Téry (Angels Santa, p. 113), de la célèbre pacifiste Louise Weiss (Yaël Hirsch, p. 35) ou de l'antifasciste et antistalinienne allemande Alice Rühle-Gerstel, épouse méconnue du théoricien des Conseils ouvriers Otto Rühle, qui se suicida le jour où son mari mourut (Britta Jürgs, p. 133), le lecteur prend conscience de cette diversité des engagements. Des témoignages et des textes, extraits d'ouvrages ou articles, permettent d'entendre ces femmes, nombreuses à prendre la plume (on remarquera la proportion élevée de journalistes) pour faire connaître la situation en Espagne pendant la guerre civile, en Chine, en Allemagne soumise peu à peu au nazisme ou en U.R.S.S. On connaissait la vigueur d'une Andrée Viollis ou de Madeleine Jacob, mais beaucoup moins la figure de l'Américaine Agnès Smedley, qui passa treize ans de sa vie militante aux côtés des communistes chinois, et qui, dans son pays, fut ensuite accusée d'être une espionne communiste.
La dernière partie de ce numéro continue d'explorer les multiples facettes de Paul Nizan, face à Munich ou dans ses rapports avec le groupe surréaliste, dans une passionnante étude de Patrice Allain (p. 287). De nombreuses recensions de livres (près de 70 pages !) terminent ce volume. Le lecteur sensible aux approches diverses pourra comparer, à propos d'un certain nombre d'ouvrages, les comptes rendus de Dissidences et d'Aden. Signalons enfin que ce numéro est dédié à un des fondateurs de ce collectif des études nizaniennes, Maurice Arpin, auquel Anne Mathieu rend hommage.
Clio, n° 29, 16 juin 2009
1. Le rapport entre féminisme et communisme est ambigu, souvent difficile certes, mais parfois aussi productif. C'est ce que démontrent les contributions du numéro 6 d'Aden, revue publiée par le Groupe Interdisciplinaire d'Études Nizaniennes, consacré à cette thématique. L'approche choisie est biographique et littéraire. C'est d'abord à travers la trajectoire et les écrits d'actrices et d'acteurs historiques que sont abordées la question de la place des femmes et du féminisme dans le communisme et, dans le cas de Louise Weiss, celle aussi de l'influence du communisme sur son féminisme libéral. Sont ainsi présentées la journaliste Magdeleine Paz, la photographe Marie-Claude Vaillant-Couturier (dite "Marivo"), la romancière et journaliste Simone Téry, Alice Rühle-Gerstel, romancière, journaliste, psychanalyste et éditrice, Dolores Ibarruri, dite La Pasionaria, et Federica Montseny, toutes deux des dirigeantes du mouvement ouvrier espagnol. Deux textes se penchent sur les représentations des femmes et de leur corps dans le roman communiste à thèse d'inspiration réaliste-socialiste, chez Paul Nizan et Louis Aragon. Enfin, une dernière contribution reconstitue la formation, l'action et les positions des Mujeres Libres, mouvement féministe anarcho-syndicaliste espagnol à l’existence brève (1936-1939), mais d’autant plus remarquable par le radicalisme de ses positions.
2. Dans une deuxième partie du numéro sont rassemblés des textes et des témoignages de la première moitié du XXème siècle et plus particulièrement de l'entre-deux-guerres, qui ont paru dans la presse de gauche française, comme Ce Soir, Vendredi, Marianne, Russie d'aujourd'hui ou encore La Révolution prolétarienne. Si le choix porte d'abord sur des textes provenant d'intellectuelles, de militantes, de journalistes et de romancières françaises avec Suzanne Buisson, Maria Vérone, Raymonde Machard, Hélène Gosset, Andrée Viollis, Édith Thomas, Henriette Valet, Germaine Dulac, Henriette Nizan, Andrée Marty-Capgras, Madeleine Jacob ou encore la traductrice Denise Van Moppès, il comprend aussi des Américaines avec Janet Flanner, Agnès Smedley et Martha Gellhorn, ainsi que l'anarchiste Russe Ida Mett, née Gilman. Il s'agit de textes de femmes ayant accédé à la prise de parole publique, de sensibilités politiques diverses allant du républicanisme radical à la gauche libertaire. Deux grands thèmes organisent cette rubrique : la condition féminine et l'engagement. L'éventail des sujets est large, de la dénonciation de l'exploitation des femmes (et des hommes) dans le capitalisme et la répression exercée par des forces contre-révolutionnaires (comme le Kuomintang en Chine) au reportage ethnographique en passant par la critique de l’hypocrisie de nombreux militants de gauche face à l'égalité, la défense de l'U.R.S.S. et la prise de position en faveur de l'Espagne républicaine. Impossible de résumer tous ces écrits. Mentionnons simplement le texte d'Henriette Valet, intitulé « Maîtres et servantes », véritable protocole d'observation participante dans un bureau de placement de bonnes. De manière sobre, par la simple description des lieux et des modalités d'accueil et la retranscription des bavardages dans cette salle d'attente, se dessine un portrait saisissant de la violence quotidienne qui se joue dans ces structures de « domination rapprochée » que représente le rapport entre employées de maison et leurs patron(ne)s (1).
3. Ce que démontrent les diverses contributions biographiques, c'est que le communisme, s'il a procuré un vecteur pour l’engagement politique, a aussi pu offrir des opportunités d’expression intellectuelle, artistique et culturelle et donner accès à l'espace public à des femmes auxquelles la plupart des sociétés occidentales refusaient encore le droit de vote, mais aussi le statut de personnes politiques. Il a servi d'espace de rencontres stimulantes, de lieu de sociabilité ou simplement de pôle de référence. Sans pour autant que les conditions de réception d'une œuvre soient vraiment égales. D'ailleurs, pour certaines des femmes en question, c'est en tant qu'épouse, compagne ou amante qu'elles s'intègrent à ce milieu. Cela n'empêche pas qu'elles font souvent preuve d'une grande autonomie de pensée, comme c'est le cas d'Alice Rühle-Gerstel - née à Prague dans une famille juive assimilée, mariée à Otto Rühle, un des fondateurs du Parti communiste allemand en 1919, et amie de Milena Jesenska - qui s'efforce de lier la psychologie individuelle et le marxisme et rédige de nombreux textes sur l’émancipation de la femme. Cela dit, c'est surtout la lecture critique de son roman Der Umbruch oder Hanna und die Freiheit (La Révolution ou Hanna et la liberté), malheureusement toujours sans traduction française, qui nous fait découvrir une écrivaine de gauche sans œillères. Celle-ci ne recule pas devant la remise en question de l'évolution soviétique et du parti communiste. Le retour des valeurs « bourgeoises », la fidélité dans le mariage, la glorification de la vie de famille, l'interdiction de l'avortement, tout cela ne va-t-il pas mener au renvoi des femmes au foyer, se demande son héroïne en 1936. Ne faut-il pas quitter le P.C. si l'on veut défendre le socialisme ? Quitter oui, mais pour aller où ? Peu d'écrivains ont osé affronter ouvertement ces dilemmes de la gauche dans les années trente. Et encore moins à partir d’un point de vue féministe.
4. Les deux contributions sur les représentations féminines chez Nizan et Aragon illustrent l'ambiguïté doctrinale du rapport entre communisme et féminisme. Elle se cristallise dans la femme bourgeoise. Ennemie par sa classe, elle est pourtant aussi opprimée par son genre. Oisive, elle est l'image par excellence de ce qu'abhorre idéologiquement le communisme. C'est un parasite de la société. Elle jouit de ses capitaux et les fait mutuellement fructifier. C'est par son capital physique que souvent elle accède au capital tout court. Mais jeunesse et beauté passent et, avec l’âge, elle est renvoyée au fait qu’elle n’était in fine qu’un simple objet d’échange pour les hommes. Victime ou profiteuse ? Séductrice ou abusée ? La position des deux écrivains oscille, mais la réduction de la femme bourgeoise à sa sexualité en tant qu'épouse ou courtisane est fortement teintée de misogynie. A-t-elle sa place dans la lutte du mouvement ouvrier pour le projet d'une société nouvelle ? Aragon, dans son roman à thèse Les cloches de Bâle, ne parvient à trancher le nœud gordien que par un impératif volontariste : la femme doit adhérer au parti (communiste) pour réaliser son émancipation. Or, entre une Clara Zetkin, emblématique de la Femme Nouvelle, et les autres héroïnes, prisonnières de leur origine sociale, il n'y a pas l'esquisse d'une passerelle. Nizan, dans ses romans La Conspiration et Le Cheval de Troie, reste lui aussi prisonnier du schème femme bourgeoise représentante de la classe dominante - femme prolétarienne victime. Si le corps féminin y prend une place importante et qu'il y est décrit avec empathie, c'est d'abord à des fins militantes. Et les personnages féminins ne sont guère de véritables actrices pour elles-mêmes, le plus souvent elles sont simplement présentes aux côtés des hommes.
5. Le grand mérite de ce numéro est d'avoir rassemblé ces itinéraires et ces textes épars, souvent oubliés et difficilement accessibles sans de longues recherches en archives. Mais quels sont les critères de sélection ? Si les contributions sont presque toutes de haut niveau, on aurait néanmoins souhaité une introduction plus fouillée et Magdeleine Paz aurait mérité une présentation moins impressionniste. Dans l'ensemble, cet ouvrage volumineux défriche avec bonheur un terrain historiographique encore largement vierge. Gageons qu'il s'avèrera un outil de travail utile à toute recherche future sur féminisme et communisme. Notons aussi en passant l'utilité du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (DBMOF) qui sert de référence à de nombreuses notices biographiques de ces auteures.
Brigitte Studer.
(1) Dominique Memmi, « Mai 68 ou la crise de la domination rapprochée », in Dominique Damamme, Boris Godille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal (Dir.), Mai-Juin 68, Paris, Éditions de l'Atelier, 2008, p. 35-46.
[La mise en ligne de cette revue de presse est due à Thierry Altman]
Courant alternatif, décembre 2006
A lire - Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole (1936-1939)
Chaque dix années en six, la guerre d'Espagne (ou la révolution selon le point de vue) donne lieu à diverses publications, rééditions et colloques. Malheureusement, il s'agit trop souvent de manifestations univoques destinées à faire revivre la geste quasi épique et mythique que chaque tendance s'est forgée au fil des ans. Beaux livres d'affiches ou de photos, exhibitions de quelques figures survivantes encadrées aux tribunes, recherches universitaires attachées d'abord à dépister la faille de celles qui les ont précédées pour se faire une place dans le monde des spécialistes, rien n'est, sans doute, totalement inutile, mais il s'agit trop souvent de puiser des arguments confortant les orientations présentes de leurs initiateurs.
Le numéro 5 de la revue ADEN n'est pas de cette facture, et c'est ce qui fait que les presque 600 pages qui le composent se lisent comme un bon roman. Ou se feuillettent même, car si on veut, on peut lire un texte, sauter le suivant, y revenir plus tard, après s'être promené au gré de ses envies et de ses intérêts, tout comme les auteurs - d'aujourd'hui comme d'hier - des trente ou quarante articles qui composent l'ouvrage nous promènent à travers ces quatre années espagnoles. Mais ce n'est pas n'importe quelle promenade ! C'est une promenade de piéton, une promenade de qui sait regarder et prendre son temps quand il le peut, autant que les balles et les prisons le permettent. Des piétons engagés qui décrivent leur voyage, comme Félicien Challaye, accompagné du député anglais Mc Govern, chargé d'enquêter sur la situation des prisonniers politiques antifascistes détenus dans l'Espagne républicaine. Rien à voir avec les voyages en jet des clercs d'aujourd'hui, tels BHL ou Kouchner qui, d'un coup d'ailes, mèche au vent ou sac de riz au dos, survolent un territoire, serrent quelques mains le temps d'un éclair, et en font des livres pour l'édification du peuple ! C'est là qu'on mesure le gouffre qui existe entre les intellectuels « engagés » de l'avant-guerre et ceux d'aujourd'hui.
Chez les premiers, et quelles que soient les critiques qu'on peut leur adresser globalement (soit de trahir leur fonction en quittant l'objectivité pour se mettre au service d'une cause, soit de rester aveugles à la réalité de classe du monde qui nous gouverne), il n'y a plus de frontières entre l'intellectuel, le journaliste et l'écrivain. Orwell, évidemment, Koestler, Bernier, Andrée Viollis, Bloch, etc. Quels que soient leurs errements parfois coupables, stalinien par exemple, leur naïveté, ils restent des êtres de chair et d'os et, la plupart du temps, ils ne sont pas loin d'appliquer la mise en garde d'Orwell : «Méfiez-vous de ma partialité, des erreurs sur les faits que j'ai pu commettre, et de la déformation qu'entraîne forcément le fait de n'avoir vu qu'un coin des événements»(Hommage à la Catalogne).Et même si ce n'est pas le cas pour tous les noms, célèbres ou moins, de la revue, leur lecture ici présente nous oblige à l'appliquer à nous-mêmes, tant les coins que nous visitons là nous sont inconnus ou inhabituels. Nous nous rendons compte, face à tous ces articles, souvent contradictoires, qu'à l'évidence la liberté, l'information, l'impertinence et la modestie ne passent plus de nos jours par la presse, ni par le reportage !
Les deux prochaines livraisons d'ADEN seront consacrées, en octobre 2007, à Féminisme et communisme, puis en octobre 2008 à Pacifisme et antimilitarisme. Si elles sont de la même facture, et pourquoi ne le seraient-elles pas ?,cela vaut le coup de s'abonner.
J.-P.D.
Vient de paraître, janvier 2007
GROUPE INTERDISCIPLINAIRE D'ÉTUDES NIZANIENNES Aden - Paul Nizan et les années trente n° 5 : Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole (1936-1939) [G.I.E.N., octobre 2006, 566 p., 25 €, ISSN : 1638-9867. Illustrations de Jean-René Kerézéon.]
Le dernier numéro de la revue Adenexplore l'attitude des intellectuels lors de la guerre d'Espagne. On retrouvera avec intérêt la rubrique « Articles sur… » traitant notamment de George Orwell, Louis Aragon et André Malraux ; la rubrique « Témoignages et textes retrouvés » et différents « Comptes rendus » de lectures et de cinéma. À ne pas manquer : l'article de Jean-François Petit, « Paul Nizan et Emmanuel Mounier dans la contestation de la philosophie universitaire des années trente », et celui de Gilles Vergnon, « "Bellicistes" de gauche : Paul Nizan et les intellectuels antimunichois ».
A Contretemps, janvier 2007
ADEN, numéro 5, octobre 2006, « Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole (1936-1939) », Nantes, 2006, 566 p.
Éclectique, ce numéro de la revue Aden offre quelques contributions intéressantes - sur Orwell et Koestler (Eva Touboul-Tardieu) et sur le P.O.U.M. (Miguel Chueca), notamment - et des témoignages et textes de qualité (Jean Bernier, Alfred Rosmer, Félicien Challaye, Augustin Souchy, Charles Ridel). On y trouve également une rubrique fournie de notes de lecture sur des parutions récentes.
Dissidences, 26 janvier 2007
Pour le numéro 5, numéro spécial qui ressemble à un livre collectif et non à une revue, tant par la richesse de ses contributions que par son volume, c’est «cette terre d'Espagne, qui condensa en trois années tous les maux et tous les espoirs du siècle denier» (A. Mathieu, p. 11) à travers la guerre civile, du côté des intellectuels, qui en constitue le motif. Pas moins de dix-huit contributions, une partie composée de témoignages et de documents ainsi que des comptes rendus d'ouvrages et de films présentent les principaux aspects des engagements intellectuels, sans exclusive : tous les courants idéologiques émancipateurs sont représentés, les communistes orthodoxes, les dissidents, les socialistes, les libertaires ou les simples antifascistes. On regrettera, sans doute, le minimalisme de la partie iconographique, réduite à quelques reproductions : affiche du P.O.U.M,. hélas non référencée (p. 15), couvertures de brochures ou « Une » de journaux, photographie de W. Reuter en 4è de couverture.
Un article de François Guyot sur Orwell, qui fait de son expérience espagnole la matrice de son antitotalitarisme, débute l'ensemble. Plutôt convenue, cette contribution a le tort, à propos de Marty, de continuer à adhérer à la «légende noire » du « boucher d'Albacete », alors que l'ouvrage de référence de Rémy Skoutelski de 1998 sur les Brigades internationales, L'espoir guidait leurs pas (Grasset), avait remis à leur juste place ces accusations issues pour partie de faux ou d'exagérations, et aucunement de sources avérées et fiables, mise au point réitérée en 2005 dans André Marty. L'homme, l’affaire, l'archive, de Paul Boulland, Claude Pennetier, Rossana Vaccaro (Dir.) aux éditions du Codhos.
Ensuite, plusieurs articles évoquent la place de la guerre d'Espagne pour les écrivains espagnols, belges (Matthieu Corman, Achille Chavée) ou français (Prévert et Aragon). Avant une série de textes sur les reportages écrits ou photographiques, Miguel Chueca présente une « autre mémoire républicaine », celle du Parti Ouvrier d'Unification Marxiste (P.O.U.M.) à partir d'un ouvrage espagnol (non traduit) d'un ex-militant poumiste décédé en 2005, Ignacio Iglesias. Les reportages de Paul Nizan en Espagne, entre juillet 1936 et juillet 1937, pour L'Humanité, Ce soir et Regards forment la trame de la communication de Anne Mathieu (directrice de publication de Aden), avec de très nombreux extraits de ses articles. Le livre de Jean-Richard Bloch Espagne, Espagne !, dont il déclarait être le plus fier, les engagements de l'écrivain André Chamson, de la journaliste Andrée Viollis, tous deux de l'hebdomadaire Vendredi et celui de Saint-Exupéry, qui passe d'un neutralisme de bon aloi à une sympathie affichée pour la cause républicaine, à partir d'une certaine idée qu'il se faisait du rôle de l'écrivain, sont analysés respectivement par Carme Figuerola, Pierre-Frédéric Charpentier, Anne Renoult (auteure de Andrée Viollis. Une femme journaliste, Presses de l'Université d'Angers, 2004) et Olivier Odaert.
Enfin, la dernière partie est consacrée aux producteurs d'images, les photographes Robert Capa et Gerda Taro (par Michel Lefebvre), le dessinateur espagnol Helios Gomez (Gabriel Gomez et Caroline Mignot) et les cinéastes Malraux (L'Espoir), Joris Ivens (Terre d'Espagne) et William Dieterle (Blockade avec Henri Fonda), évoqués par Pierrick Lafleur. Parmi les textes retrouvés ou les témoignages, présentés par Charles Jacquier et Anne Mathieu comme une nécessité pour à la fois équilibrer le recueil, d'où l'importance accordée à des écrits libertaires, peu présents dans les articles précédents, et donner un «accès direct à des textes d'époque » (p. 376) ; citons, par exemple, celui d'un militant atypique, et de ce fait largement ignoré, Jean Bernier (p. 379-393), le témoignage d'un délégué de la célèbre Colonne de fer (C.N.T./F.A.I.) opposé à leur militarisation (p. 430-433) ou bien, last but not least, un reportage de Paul Nizan au quartier général des Milices, à Barcelone, paru dans l'hebdomadaire Regards du 20 août 1936 (p. 461-463).
Les notes de lectures rendent compte des principaux ouvrages parus sur le sujet, qu'il s'agisse de romans, d'essais militants ou d'ouvrages spécialisés. Au final, si l'on regrette l’absence d'une bibliographie, on ne peut que féliciter l'équipe de chercheurs du G.I.E.N. (Groupe Interdisciplinaire d'Etudes Nizaniennes, Nantes) d'avoir, par l'élargissement de leur focale (Nizan) contribué à une meilleure connaissance de la diversité des engagements intellectuels aux côtés des Républicains espagnols, même si l'absence, par exemple, du continent américain, constatée et regrettée par le collectif de la revue, lui donne ainsi l'occasion de projeter une autre livraison... dans un futur proche !
Christian Beuvain.
Le Monde, 16 février 2007
« Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole (1936-1939) »
AU FIL DES REVUES
« Aden », la guerre d'Espagne et Paul Nizan
« NE RÊVEZ PLUS qu'à l'Espagne » : l'appel lancé par Aragon à ses « frères écrivains et artistes » en novembre 1936 dans la revue Europe a été entendu. Peu de causes, en effet, auront, au XXème siècle, autant mobilisé les intellectuels européens que la guerre civile qui ensanglanta l'Espagne entre 1936 et 1939. C'est à cet aspect du conflit, et plus précisément à l'engagement des intellectuels aux côtés des républicains espagnols, qu'est consacré le dernier numéro d'Aden, une revue qui, une fois par an depuis 2002, rend compte des recherches consacrées à l'écrivain et journaliste Paul Nizan (1905-1940).
Exceptionnel par sa taille et remarquable par la qualité de la plupart de ses contributions, ce numéro s'imposait tant les articles que l'auteur d’Aden Arabie a consacrés à la guerre d'Espagne sont nombreux. Grâce à Anne Mathieu, qui pilote la revue et édite par ailleurs les écrits journalistiques de Nizan (1), on lira ici quelques extraits des articles rédigés par Nizan à l'époque. Des textes publiés principalement dans les quotidiens communistes L'Humanité et Ce soir, où l'exaltation des « héroïques combattants de la liberté » se mêle à la dénonciation de l’« étrange faiblesse de la Grande-Bretagne et de la France qui croient que le meilleur moyen de conserver la paix est de fermer les yeux ».
Comme dans les numéros précédents, Aden a ouvert ses pages à des figures autres que Nizan, qui ont marqué la vie intellectuelle des années 1930. Du communisme orthodoxe d'un Aragon à l'humanisme non partisan d'un Prévert ou d'un Saint-Exupéry, en passant par les différentes composantes - anarchiste, trotskiste ou libertaire - de l'extrême gauche antistalinienne, on retrouvera ici les principaux courants de pensée qui soutinrent la cause républicaine. Une absence, toutefois : celle des catholiques de gauche qui, tel Emmanuel Mounier, s'engagèrent dans le combat anti-franquiste (le fondateur d’Esprit est évoqué, mais hors du dossier « guerre d'Espagne », dans un bel article consacré aux critiques de Mounier et de Nizan contre l'enseignement de la philosophie à l'Université).
A travers l'évocation de ces itinéraires individuels, le lecteur comprendra que la guerre d'Espagne fut non seulement une cause d'engagement, mais aussi un moment propice aux prises de conscience. Ce dont témoignent les cas - déjà connus mais réexaminés ici - de George Orwell et d'Arthur Koestler, qui quittèrent l'Espagne sans illusions sur la nature du stalinisme. Ou encore celui d'André Chamson, qui comprit, avant les accords de Munich (1938), que le pacifisme intégral n'était pas la bonne réponse au fascisme.
On recommandera enfin une riche étude sur la poésie populaire de la guerre civile, ainsi que deux beaux portraits de femme : celui d'Andrée Viollis, qui avait été l'une des premières journalistes à dénoncer l'oppression coloniale et qui rapporta d'Espagne des reportages magnifiques, et celui de la photographe Gerda Taro, compagne de Robert Capa, amie de Nizan, morte sur le front, pendant la bataille de Brunete, en juillet 1937.
THOMAS WIEDER
(1) Articles littéraires et politiques, quatre volumes au total. Le premier (les années 1923-1935) est sorti en 2005 aux Éditions Joseph K.
Gavroche, avril-mai-juin 2007
ADEN (PAUL NIZAN ET LES ANNÉES TRENTE) « Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole 1936-1939 » n° 5, 2006, 560 p., 25 € //paul.nizan.free.fr/ADEN.htm
Dans une première partie de l'imposant numéro spécial sur la guerre d'Espagne de la revue d'études nizaniennes, différents intervenants évoquent les auteurs de plusieurs nationalités mobilisés en faveur des républicains. George Orwell, Arthur Koestler, John Dos Passos, partis combattre le fascisme par idéal socialiste ou communiste, découvrent en Espagne le totalitarisme stalinien et la duplicité des nations « démocratiques » : « Il s'était établi depuis quelques années, note Koestler dans Un testament espagnol, une tradition selon laquelle les dictatures agissaient et les démocraties protestaient. C'était là une division du travail qui paraissait contenter tout le monde. »
Concernée au premier titre, l'intelligentsia ibérique soutint en majorité la Deuxième République. Elle suscite l'émergence de talents dans toutes les couches de la société : « Ton fusil / doit aussi se charger d'encre / contre la guerre civile ». Ainsi, dans l'hebdomadaire El Mono Azul, créé par le poète Rafael Alberti et ses compagnons de la Alianza de intelectuales antifacistas, les écrits d’artistes expérimentés côtoient ceux d'ouvriers et de paysans débutants.
En France, la poésie pro-républicaine compte Jacques Prévert et le groupe de théâtre d’agit-prop "Octobre", dès l'insurrection des Asturies en 1934 : « En Espagne / dans les Asturies / c'est la Révolution / les mineurs rouges se battent et meurent / pour la terre / pour le pain / pour la liberté ».
Les œuvres des photographes Gerda Taro et Robert Capa illustrent cet engagement de l'élite artistique bien au-delà de la défaite de 1939.
Aden s'intéresse aussi aux auteurs belges francophones : Matthieu Corman, Achille Chavée, Paul Nothomb. Comme leurs homologues français, Jules Supervielle, André Chamson, Claude Simon ou Saint-Exupéry, ils s'impliquent de façon militante ou humaniste dans le conflit.
La deuxième partie, « Témoignages et textes retrouvés », s'oriente sur des points de vue libertaires plus déterminés. Ces analyses sans concession expliquent sans doute leur confidentialité. Jean Bernier, auteur de La Percée (1920, rééd. Agone, 2000) sur la guerre de 1914-1918, analyse dès décembre 1936 les tenants et les aboutissants internationaux de ces événements. Pour sauver l'Espagne et eux-mêmes du fascisme, il presse les révolutionnaires européens afin qu'ils se retournent contre leur propre bourgeoisie. Par défaut, il anticipe la suite exacte du processus : « Sur la momie de Lénine et de la révolution d'octobre, sur le cadavre mort-né de la révolution espagnole, le banditisme impérialiste, dans le sang de millions d'ouvriers et de paysans triomphe une fois de plus du prolétariat international. »
La dénonciation des exactions des agents soviétiques se retrouve dans le journal de voyage de Félicien Challaye, un pacifiste venu à la fin de juin 1937 à Barcelone pour y faire libérer les prisonniers politiques des « fascistes moscoutaires », et dans la préface d'Alfred Rosmer pour le livre de Katia Landau, Le stalinisme en Espagne. Autre témoignage, les souvenirs d'Augustin Souchy qui voit son rêve de communisme libertaire devenir réalité dans de nombreuses zones agraires de la péninsule. De sa participation aux événements d'Espagne, il garde un regret : « Et si nous avions gagné la guerre civile, alors le collectivisme espagnol serait aujourd'hui une troisième alternative entre le capitalisme privé d'une part et le capitalisme d'État de l'autre ». Justement cela même que les impérialismes «démocratiques » ou totalitaires voulaient empêcher au prix d'une Deuxième Guerre mondiale.
Un chapitre sur les films d'époque tournés par Malraux, Ivens, Dieterle et d'importants comptes rendus (livres et films) complètent l'apport bibliographique de ce dossier sur la guerre d'Espagne.
La connaissance arme larévolte. De là vient la haine du fascisme envers la culture et le goût du capitalisme pour les analphabètes. Malgré l'échec annoncé de toute révolution radicale sur la durée, « oui, pourquoi renoncerait-on à l'absolu au nom d'un réalisme qui n'est qu'une suite de démissions et d'oublis sur le chemin de la raison et de la vie ? » (Jordi Bonnels)
H.F.
Le n°5 d’Aden a aussi été évoqué dans Le Monde diplomatique de décembre 2006.
On peut entendre une interview de Anne Mathieu par Eva Vamos sur Radio Budapest (http://real1.radio.hu/nemzeti.htm ; 2 janvier 2007).
Et une autre, par Benoît Ruelle, dans son émission ,« Idées » sur Radio France Internationale, le 22 avril 2006 (www.rfi.fr).
[La mise en ligne de cette revue de presse est due à Thierry Altman]
Le Monde diplomatique, novembre 2005
Aden. Paul Nizan et les années trente. Cette publication annuelle revient sur le centenaire de Paul Nizan et évoque ceux de Jean-Paul Sartre et d’Arthur Koestler. Des articles sont consacrés au roman de Nizan, Antoine Bloyé, et à son célèbre essai Aden Arabie, préfacé par Sartre qu’inspirait, comme l’analyse un autre article, l’« ombre dévorante et évanescente » de Nizan.
Presse-Océan, 23 décembre 2005
La revue Aden célèbre les centenaires de Nizan, Sartre et Koestler
Le numéro 4 de la revue Aden. Paul Nizan et les années 30 revient sur le centenaire de l'écrivain et évoque aussi ceux de Jean-Paul Sartre et d'Arthur Koestler.
Au fil des ans, la revue Aden (créée en 2002 par le Groupe Interdisciplinaire d'Etudes Nizaniennes) s'enrichit, aussi bien sur le fond que sur la forme. La maquette du dernier numéro a ainsi été modifiée. Elle propose une thématique et met en valeur les dessins de Jean-René Kerézéon, illustrateur nantais. Plusieurs images en noir et blanc agrémentent la lecture, allègent les propos et prêtent à sourire, à l'instar de celle invitant à « ne pas confondre Aden et A.D.N, merci… » !« Je n'ai pas de ligne directrice pour les dessins, j'essaye d'ajouter un peu de sel et de humour», souligne l’illustrateur, qui a rejoint la direction de la revue avec Pierrick Lafleur, responsable des comptes rendus. « Tout le monde peut écrire, universitaires ou non. Si des gens le souhaitent, à partir du moment où l'article est bon, on le publie. Préalablement, on discute du sujet. Nous avons une volonté d'ouverture. Cela permet aussi de varier les points de vue des gens, issus de différents milieux sociaux », explique-t-il.
Articles, comptes rendus, notes de lecture ...
Dans cet esprit, en plus de spécialistes, un postier, une psychiatre, des éditeurs, un ingénieur… ont collaboré au dernier numéro d’Aden, qui célèbre les centenaires de Nizan, Sartre et Koestler.
Plusieurs articles sont ainsi consacrés à Paul Nizan et Jean-Paul Sartre (notamment pendant la Drôle de Guerre), à l'existentialisme et au communisme face au surréalisme et à Sartre au Havre, dans les années 30. Anne Mathieu, directrice de la revue, publie pour sa part deux articles, le premier sur l’« ombre évanescente de Nizan sur Sartre », le second sur « Nizan critique littéraire à Monde en 1935 ».
Parallèlement, Maurice Arpin (rédacteur en chef d’Aden) s'intéresse à « Antoine Bloyé : Intertextualité au service de la Révolution »,Nicolas Surlapierre aux « Arts et métiers depuis Nizan », Claude Herzfeld à « L'esprit de système dans Aden Arabie », Alain Flajoliet à « Nizan et la critique du spiritualisme universitaire », Michael Löwy à « Claude Cahun, franc-tireur surréaliste » et John Parkin à « Arthur Koestler en Espagne ».
Des comptes rendus cinématographiques et des notes de lecture liées aux années 30 complètent cette revue de 358 pages, bien accueillie au Salon de la revue de Paris où elle a été présentée en octobre.
S.G.
Dissidences, 26 janvier 2007
Si l'on fait exception du texte plutôt décalé de Claude Herzfeld, d'une tonalité très anticommuniste, qui fait de Nizan un « chien de garde » du stalinisme et un annonciateur, pas moins, des Khmers rouges de Pol Pot (p. 107-108), on retiendra surtout l'article de Anne Mathieu sur la période très polémiste de Nizan dans Monde, à un moment (1935) où cet hebdomadaire fondé par Henri Barbusse épouse une ligne idéologique très orthodoxe : Henri Massis, Drieu La Rochelle, André Maurois l'apprennent à leurs dépens, mais également Panaït Istrati, parce qu'il s'éloigne alors du communisme. L'auteure montre bien que Paul Nizan applique à la lettre la sentence suivante : « Nous vivons dans un temps qui presse chacun de choisir une position politique » (article du 1er août 1935, cité p. 142).
Quelques vingt-cinq années plus tard, en 1960, la même virulence anime Jean-Paul Sartre, préfaçant Aden Arabie de Nizan (publié en 1931) et s'engageant, dans le même temps par la parole, l'écrit ou les actes, en faveur des luttes de décolonisation. On peut parler, alors, effectivement d'une « ombre dévorante » (titre de la communication d’A. Mathieu, p. 193- 209) de Nizan sur Sartre lorsque celui-ci dénonce la gauche, « ce grand cadavre à la renverse, où les vers se sont mis. Elle pue cette charogne » (préface à Aden Arabie, cité p. 196). Une très stimulante réflexion de Régis Antoine sur les catégories de « peuple» et de « prolétariat », et un portrait, par Michaël Löwy, de l'artiste surréaliste, lesbienne, trotskyste, provocatrice en diable (tête rasée peinte en rose, habits d'homme) Claude Cahun, arrêtée et déportée en juillet 1944 par les nazis pour distribution de tracts antifascistes aux soldats allemands ont également retenu mon attention. Des comptes rendus de lectures et de films terminent cette livraison d'octobre 2005.
[La mise en ligne de cette revue de presse est due à Thierry Altman]
Le Monde diplomatique, décembre 2004
ADEN. Dans une livraison dédiée à Lothat Baier, Le cheval de Troie, ou le roman à thèse selon Paul Nizan ; Emmanuel Berl à la rencontre du prolétariat des années 1930 (N°3, octobre, annuel, 20 €)
La Revue des revues, juillet 2005
La bande à Nizan
Entretien avec Anne Mathieu et Maurice Arpin
Au-delà des commémorations obligées - Paul Nizan est né en 1905 -, le chemin le plus sûr pour faire vivre la mémoire d'un écrivain est de le lire, de féconder son œuvre par l'étude, de susciter autour d'elle une ferveur travailleuse - et pourquoi pas rieuse ? Depuis trois ans, Aden (1) s’y emploie sous la houlette d'Anne Mathieu et de Maurice Arpin.
Comment est née Aden ?
Anne Mathieu (A.M.) - D'une rencontre. Mais d'une rencontre ne pouvant se dissocier de la création de notre association, le Groupe Interdisciplinaire d'études nizaniennes (G.I.E.N.). En novembre 2000, à l'Université de Tours, un petit groupe s'est réuni lors d'une journée d'études sur Nizan écrivain et journaliste. La plupart des personnes présentes ce jour-là ne se connaissaient pas. Il y avait notamment Patrick Nizan - le fils de Paul -, Lothar Baier, Serge Halimi, Gilles Kersaudy et Maurice Arpin. La veille, Maurice et moi nous sommes rencontrés pour la première fois et, le soir même, nous faisions également connaissance avec Lothar. Rapidement les échanges se sont déroulés dans une ambiance chaleureuse et fraternelle : il se passait quelque chose bien au-delà de Nizan - mais sûrement grâce à lui à plus d'un titre - qui s'est avéré prendre encore plus de réalité après, puisque, ensuite, je n'ai cessé de correspondre avec Maurice et Lothar. Et puis, la présence amicale et chaleureuse de Patrick a été fondamentale. Bref, cette journée de Tours a été très importante. Et puis, quelque temps après - mais je ne me rappelle plus quand, Maurice peut- être… - on s'est dit, ce dernier et moi : « Si on créait une revue ? » Un peu comme un pari. Nous avons lancé un appel à contributions auprès des membres de l'association, et plus largement ; quelques-uns ont répondu, et nous avons tenu absolument à associer Lothar à ce premier numéro, qui, bien que débordé alors, a eu la gentillesse d'écrire ce bel article sur Walter Benjamin et Nizan. Je me souviens de ses courriels contents de voir cette revue, lui qui, pourtant, en avait vu d'autres ! Cette modestie, cet enthousiasme bannissant toute conception blasée, nous voulons aussi y être fidèles. Mais j'ai été longue, Maurice, non ?
Maurice Arpin (M.A.) – L’idée de créer la revue revient à Anne. Le nom de la revue, j'aimerais dire que c'est moi qui l'ai trouvé, mais encore une fois, ce serait un abus. En fait, c'est à Olivier Corpet qu'on le doit. C'est bien comme nom. Pour rappeler la mémoire de Nizan, je ne vois pas mieux que ce titre emblématique.
Pourquoi ce sous-titre : « Paul Nizan et les années 30 » ?
A.M. - Nous voulions lancer une revue sur Nizan, mais nous avions conscience que, pour assurer sa pérennité, il fallait qu’elle traitât d'autres choses. Et, ces autres choses, ça ne pouvait être que les années trente. Pas une seule revue, en France comme à l'étranger, ne traite des années 30 de façon systématique. Et nous étions encore à un - long ! - moment, où on ne travaillait pas beaucoup sur cette période, surtout en littérature, pour des raisons qui m'ont toujours semblé évidentes du fait de l'époque où nous vivons. Les années trente, c’est la littérature engagée, pleinement. Autrement dit, ce n'est ni politiquement correct, ni d'une tonalité « pensée unique ». Mais si je commence sur ce terrain-là, on n'a pas fini ! Bref, on s'est dit qu'on pouvait offrir cet espace, et que, de plus, la figure de Nizan à la confluence des intellectuels des années 30 ne nous semblait pas totalement une absurdité. Notre rubrique « Regards sur les intellectuels des années trente » accueille ainsi des articles où on ne traite pas de Nizan, elle s'étoffe de numéro en numéro et nous souhaitons qu'elle prenne de plus en plus d'ampleur. Enfin, je suis persuadée, depuis longtemps, que les années trente ont - souvent malheureusement - une formidable résonance dans notre époque... Mais, ça y est, je suis repartie... à toi, Maurice.
M.A. - Les années trente, si souvent malmenées pour avoir eu la prétention de trouver des réponses à tout, pour avoir été trop politiques, engagées, ont une littérature qui s'harmonise bien avec les préoccupations du monde actuel. Je suis sûr que la jeunesse d'aujourd'hui ne la trouve pas si vieille, vieillotte, cette littérature. Ce sont des années de violence, soit, mais dont les rêves, interrompus par la guerre et ses séquelles, reviennent à la surface. À une époque où l'on nous fait croire que le désir était périmé, cette littérature d'une époque où l'on cherchait des solutions aux nombreux problèmes sociétaux qui se posaient alors, où l’on écrivait bien de surcroît a quelque chose de tonique. Tout à fait recommandée pour les grandes dépressions, individuelles ou collectives.
Pourquoi créer une telle publication aujourd'hui ? La figure de Nizan est-elle méconnue, s’est-elle estompée et il s'agirait, alors, de la raviver, ou au contraire cela correspond-il à une volonté de rendre compte de la richesse des études nizaniennes ?
A.M. - Oui, l'idée était de raviver la figure de Nizan, mais cette optique est en fait beaucoup plus celle de notre association. Pour notre revue, je crois que l'explication se trouve dans ce que j'ai dit auparavant. Qu'est-ce que tu en penses, toi, Maurice, le spécialiste de la réception de Nizan, et qui plus est, un Canadien?
M.A. - Je crois que trop longtemps la figure de Nizan a été associée au communisme uniquement, c'est-à-dire à la fortune du communisme. Selon l'état du communisme, la cote nizanienne montait ou baissait, en harmonie ou contradictoirement. C'est remarquable. Au cours des années 60 et 70, dans l'environnement immédiat de sa «résurrection », il était ou bien le seul romancier communiste digne d'être lu pour autre chose que le dogmatisme, ou bien un jeune intellectuel fourvoyé par une idéologie à qui il en demandait trop, ou bien encore le meilleur (ou le pire) des défenseurs du stalinisme. Toutes ces perceptions, selon le moment, ont été justifiées par les meilleurs journalistes et les exégètes les plus en vue. Mais on oubliait l'essentiel à mon sens. Le style, l'humour, l'ironie, l'inspiration, la rhétorique nizanienne. C'est précisément de cela qu'il est question dans Aden. Et de l'actualité de son écriture. L’œuvre de Nizan se lit très bien. On ne peut pas en dire autant de tous les grands du XXème siècle.
La revue suscite-t-elle des études originales ou rassemble-t-elle des travaux qui se font à la faveur de colloques ou autres rencontres ?
A.M. - Principalement des études originales.
M.A. -Tout est à découvrir chez cet écrivain qui a touché à presque tous les genres. L’homme de théâtre tout autant que le philosophe.
Comment s'organise le contenu d'un numéro ?
A.M. - Par rapport à notre ligne éditoriale, et aux articles que nous recevons. Mais Maurice et moi-même sommes en train de réfléchir actuellement à une autre constitution de nos numéros, tout en conservant bien entendu notre ligne éditoriale. Je n'en dis pas plus : vous verrez notre n° 4, bien qu'il ne sera qu'une étape dans cette évolution.
M.A. - Pour l'instant, les rubriques que nous avons retenues pour la structuration des numéros de la revue nous laissent beaucoup de latitude. La mise au jour des nombreuses facettes de l'œuvre de Nizan est prioritaire. Quant à la rubrique « Regards sur les intellectuels des années trente », elle nous a donné de très beaux textes sur Berl, Prévert, Bost, Péret, Vaillant-Couturier, pour en nommer quelques-uns.
Qui décide ? Est-ce l'affaire d'un seul, en l'occurrence une seule, ou est-ce une entreprise collective ?
A.M. - Toutes les décisions sont prises par Maurice et moi-même, sans exception. Si, si, c'est vrai ! Quelquefois, nos discussions sont animées, il y a parfois du sport, mais de façon générale on travaille sereinement (et beaucoup !) et souvent avec chaleur. Nous avons également un Comité de Lecture auquel sont envoyés les articles, suivant les centres d'intérêts ou les spécialités des uns et des autres ; la personne en question nous rend ensuite son avis dont nous tenons compte scrupuleusement. Et puis, nous souhaitons, au fur et à mesure, intégrer des personnes au fonctionnement de la revue. Au départ, le Comité de Lecture a été, en gros, l'émanation du Conseil d'administration de l'association : il fallait bien un début, et ça ne nous semblait pas totalement incohérent. Le critère pour intégrer d'autres personnes est principalement : vouloir travailler à cette revue, la compétence vient après... Je blague... et, en même temps, la volonté de s'investir, j'entends, d'un point de vue militant, est essentiel pour moi : je connais beaucoup de gens, dans beaucoup d'endroits, qui disent vouloir faire des choses mais quand il s'agit de coller un timbre sur une enveloppe, c'est l'ascension de l'Annapurna par moins 40. Alors, par exemple, on a demandé dernièrement à quelqu'un qui ne rechigne pas au collage de timbres de devenir responsable des rubriques « Comptes rendus de lecture» et «cinématographiques », du fait de ses capacités à s'enthousiasmer et à travailler efficacement, et, bien entendu, de sa culture. Il s'agit de Pierrick Lafleur. Quelqu'un qui avait été notre grand lecteur lors du n° 2 vient aussi d'entrer dans le Comité de Lecture, il s'agit de Guy Palayret. Nous avons aussi désormais un illustrateur, Jean-René Kerézéon, qui a collaboré au n° 3, et qui va continuer l'aventure avec nous. Ah oui, une chose que je voudrais absolument préciser: nous sommes attachés à ce que cette revue - tout comme cela est l'esprit de notre association - ne soit pas une revue d'universitaires destinée uniquement aux universitaires.
M.A. - Je fais presque tout le temps ce qu'Anne me dit de faire... Non. Mais sans blague : Aden, c'est en effet un travail qui engage plusieurs personnes. Dans cette perspective, j'ajouterai que la rencontre de plusieurs bonnes volontés, quand chacun y met un peu du sien, peut produire un résultat extraordinaire. Mais sans la coordination d'Anne, qui est d'un enthousiasme sans pareil, je doute que Aden pourrait exister. Dès lors qu'il s'agit de passer aux actes, c'est-à-dire travailler, il faut une tête, une direction. Et la nôtre est assurée par Anne Mathieu.
On ne peut pas ignorer que cette année est une année « Sartre »… mais c'est aussi une année Nizan – 100ème anniversaire de sa naissance - quelle part active votre revue y prend-elle ?
A.M. - Juste un point : je crois qu'avec le travail que nous avons fait les uns et les autres, on peut moins ignorer que c'est une année Nizan. Et un autre point, même non contenu dans la question : ce centenaire, pour moi, n'est qu'un outil pour faire revenir Nizan sur le devant de la scène (2). En gros, je me fiche de ce qu'en dit et en dira l'establishment. Ne pas se faire récupérer. Et, même, qu'il s'en tienne le plus loin possible. Bon, la question : oui, la revue va y prendre une part.
M.A. - Cette année, tout converge sur le centenaire de la naissance de Nizan. Le colloque Nizan qui aura lieu en novembre au Lycée Henri-IV, l'inauguration de rues Paul-Nizan à Nantes et à Tours, les publications et les rééditions ajouteront un élément spécial au prochain numéro d'Aden en octobre 2005.
Y a-t-il dans votre entreprise une ambition - cachée ou au contraire très affirmée - de peser sur l'édition des œuvres de Nizan ?
A.M. - Non. Mais si contribuer à le faire revenir sur le devant de la scène permet des rééditions, alors, oui, mais ce n'est pas notre objectif, ça ne l'a jamais été, tu ne crois pas, Maurice ?
M.A. - Ce n'est pas si facile de rééditer l'œuvre d'un « trouble-fête » comme Nizan. Mais si un jour on constate que Aden a joué un rôle de premier plan dans la réédition de Nizan, je n'en serais pas malheureux.
Depuis la naissance de votre revue, vous participez activement et en nombre au Salon de la Revue : est-ce à dire qu'au-delà même de la publication de la revue, il y a chez les amis de Nizan un désir d'être ensemble, de faire ensemble d'autres choses?
A.M. - Oui, même si on ne peut pas tous devenir copains ou a fortiori amis, bien entendu. Mais je tiens profondément à ce que la revue - comme notre association - soit une occasion d'échanger sans fard, de débattre, souvent avec grand sérieux, et également de bien rire ensemble. Je pense de plus que ça fait partie des fidélités à avoir vis-à-vis de Nizan. Et puis, entre nous, vous n'avez pas remarqué comme les autres sont souvent tristes, non ? Je ne conçois pas un Salon, par exemple, sans un bon dîner entre nous - et ceux de l'association qui n'ont pu être là sont invités à nous y rejoindre, Patrick Nizan étant d'ailleurs le premier à ne pas rater ce moment dans notre restaurant habituel. Le fait de tenir le stand, qui est quand même parfois une tâche un peu ingrate, doit se passer dans une ambiance de rigolade, sinon, l'intérêt, me semble-t-il, est quand même limité (les organisateurs me pardonneront). Et c'est également une vraie satisfaction et un vrai plaisir que de voir venir au Salon, pour cette tâche, des adhérents, anciens ou nouveaux - je vais d'ailleurs les citer, sur ces deux années consécutives : Thierry Altman, Pierre-Frédéric Charpentier, Gilles Kersaudy, Pierrick Lafleur, Guy Palayret, Romain Piana, Nicolas Planchais, Renaud Quillet, Laurence Ratier, Marleen Rensen. J'espère que je n'oublie personne ! Il faut ajouter aussi que certains membres de l'association s'occupent de déposer la revue dans la librairie de leur ville : certains ont été déjà mentionnés juste avant, il y a également Caragh Kingston, Alain Lemaître, Jean- Louis Liters, Françoise Maury.
En fait, depuis 2000, mais également depuis notre premier colloque à Nantes en 2002 où des rencontres se sont produites et sont toujours vivaces aujourd'hui, nous sommes une bande de joyeux drilles, mais qui travaillons énormément. Une sorte d'attitude militante, en somme. Mais qu'on se comprenne bien : je ne demande pas à tous les adhérents, aux collaborateurs de la revue, d'être ainsi : ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'il y a un noyau dur des débuts qui est ainsi. Des nouveaux venus rejoindront peut-être ce noyau dur, d'autres choisiront de se comporter autrement, peu importe. L'essentiel est que chacun y trouve son compte, que Nizan vive, que les années trente soient largement traitées dans notre revue, qu'elle soit un espace de rencontre et d'échanges - notamment avec les autres revues : nous sommes ainsi devenus copains avec les gens de chez Poulaille : pas mal, n'est-ce pas, si on se reporte aux débats des années trente entre Poulaille et Nizan ? -, qu'elle continue à suivre son chemin en devenant meilleure. Nous l'avons créée pour toutes ces raisons, non ?
M.A. - Le mezze du restau libanais, je me l'imagine. Il m'est impossible d'assister à toutes les manifestations nizaniennes qui ont lieu en France, et je ne vois mes collègues de la revue que tous les deux ans à peu près (3). Mais je garde un contact constant avec eux par Internet. Sur ce point, je dirais que la revue Adendoit beaucoup à Internet : les échanges et les prises de décision y sont rapides. J'aimerais que Aden continue d'être une revue où se rencontre la diversité, d'âges, de disciplines, d'origines. Une revue qui s'ouvre au plus grand nombre. De cette façon, elle s'enrichit constamment, étant un forum d'échange d'idées sur un écrivain et son époque, plutôt qu'un cénacle.
Entretien réalisé par André Chabin.
(1) La revue Aden est publiée par le G.I.E.N. (Groupe Interdisciplinaire d'Etudes Nizaniennes, c/o Anne Mathieu, 11, rue des Trois-Rois, 44000 Nantes ; matan@orange.fr ; www.stfx.ca/people/marpin/nizan).
(2) Anne Mathieu vient notamment de publier le premier tome des Articles littéraires et politiques de Paul Nizan (Des écrits de jeunesse au 1er Congrès International des Écrivains pour la Défense de la Culture. 1923-1935), Préface de Jacques Deguy, Nantes, Joseph K., 2005, 566 p.
(3) Maurice Arpin vit et enseigne au Canada.
[La mise en ligne de cette revue de presse est due à Thierry Altman]
Le Monde diplomatique, novembre 2003
ADEN. Comparaisons entre Nizan et Simenon, entre le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire et Les Chiens de garde ; la revue revient sur Nizan et le pacte germano-soviétique.
Ouest-France, 18 décembre 2003
Des chercheurs explorent l’actualité de l’auteur des Chiens de garde
Ils passent Nizan en revue
Le n°2 de la revue Aden vient de paraître. Des chercheurs de différentes disciplines y rendent compte de la pérennité de l’œuvre et de l’engagement de Paul Nizan, l’auteur d’Aden Arabie et des Chiens de garde qui fit un bref séjour à Nantes.
Du côté d’Aden, quoi de neuf ? La question posée ici n’est pas d’ordre géopolitique. Quoique…
Concernant Paul Nizan (1905-1940), elle traverse des champs multiples. Celui de l’histoire locale et de la biographie (à Nantes, il est passé). Celui de la politique (communiste, il a milité). Celui de la médiologie (journaliste, il a été à L’Humanité puis à Ce soir où il a dirigé la page de politique étrangère). Celui du mythe aussi (figure du révolté, il demeure). Pour y voir plus clair et retrouver au-delà de l’image l’auteur d’Antoine Bloyé, de La Conspiration et des Chiens de garde, le G.I.E.N. est là qui veille au grain. Derrière l’acronyme, le groupe interdisciplinaire d’études nizaniennes, qui compte plusieurs Nantais parmi son comité d’édition et ses collaborateurs, rend compte de cette identité complexe.
Interdisciplinaire, l’association ne constitue aucunement une société des « amis » mais un pôle de réflexion. Créée en décembre 2000, elle replace l’intellectuel en son temps, interroge l’héritage de Nizan, construit des ponts et parallèles. Et bouscule les formules qui font de l’homme un communiste impossible.
Bloyé de Nantes
Ce faisant, on retrouve, en 1918, Paul Nizan inscrit comme externe surveillé au Lycée de Nantes dans la classe de quatrième A2. Le passage ne durera que quelques mois, mais il dépasse l’anecdote pour s’inscrire dans les pages de La Conspiration.
Et surtout dans celles d’Antoine Bloyé : « Nantes et une ville où le commerce de la mer, les banques, les usines, les faces blanches des femmes dévotes, la mort et l’inquiétude sont des éléments mystérieux d’une vie que nulle autre ville française n’impose à ses habitants. Les gens de Nantes, accoutumés depuis leur enfance aux façons de leur ville, ne prennent plus garde à l’air qu’on respire sur les deux rives de la Loire. »
C’est ce lien que tisse notamment Jean-Louis Liters au fil d’un article intitulé « Nizan et Simenon en mal de père dans le port de Nantes ». Ceci quand Régis Antoine explore la critique de l’idée de nation chez les écrivains communistes surréalistes et progressistes de l’entre-deux-guerres, Salim Ahamada évoque Césaire en regard, Anne Mathieu, le journaliste antifasciste.
Quant à Maurice Arpin, il revient aux sources d’une identité politique, en évoquant Aden Arabie. Écrit de jeunesse fougueux, récit de voyage subverti, pamphlet… Avec ce séjour et ce titre, Nizan devient une figure mythique de la révolte. Celle que Sartre évoquait lors de la nouvelle parution du livre chez Maspero en 1960. Un portrait inachevé.
Yves Aumont
L'Histoire, mars 2004
« Je t'envoie ma démission du parti. .. »
« Je t'envoie ma démission du Parti communiste français. Ma condition présente de soldat mobilisé m'interdit d'ajouter à ces lignes le moindre commentaire. » C’est par ces quelques mots adressés le 25 septembre 1939 à Jacques Duclos, numéro deux du parti, que Paul Nizan annonce sa rupture après l'annonce du Pacte germano-soviétique.
S’il n'est pas le seul communiste à couper les amarres, il est assurément le seul intellectuel de renom, écrit Pierre-Frédéric Charpentier, à le faire publiquement. Ses anciens camarades ne s’y trompent d'ailleurs pas, qui vont déclencher contre lui, Thorez en tête, une campagne de diffamation - un vrai « procès stalinien par contumace » - sans qu’il ait jamais pu répondre : il meurt, le 23 mai 1940, lors de l’offensive allemande. On sait aussi qu'Aragon, en 1949, fera de lui le traître dans Les Communistes sous les traits d'Orfilat.
Collaborateur du quotidien communiste Ce Soir depuis 1937, année de sa fondation, Nizan, comme beaucoup, n'a pas vu arriver le revirement de Staline. Jusqu'au bout, il a cru à un accord entre Français, Britanniques et Soviétiques. «L’Allemagne sera à genoux », lança-t-il, plein d'assurance, à Sartre et à Beauvoir, à la mi-juillet, avant de partir en Corse.
C'est là où la nouvelle du pacte Staline-Ribbentrop vient le surprendre. D'où sa colère, même s'il sait que l'histoire lui rendra justice. « Sur le fond, écrit-il en octobre 1939 à Henriette, sa femme, je crois avoir raison.- il n y a que les événements qui me confirmeront ou m'infirmeront. »
[La mise en ligne de cette revue de presse est due à Thierry Altman]