Jacqueline LEINER †
(Adhérente au G.I.E.N. de 2001 à 2008 ; Membre d'Honneur du G.I.E.N.)
" Je me souviens... " : J'ai découvert Nizan lorsque je proposais une thèse sur Simone de Beauvoir à Strasbourg au directeur que je venais de choisir, Jean Gaulnier. Il se montra hésitant et me proposa – puisque je m'intéressais à Beauvoir et Sartre – de faire une thèse sur Paul Nizan qui avait été l'ami personnel du couple.
La préface d'Aden Arabie venait de sortir et m'avait éblouie. Après quelque temps de réflexion, j'acceptais ce sujet et me mis à lire avidement l'œuvre de Nizan : Antoine Bloyé, Le Cheval de Troie, La Conspiration, Chronique de septembre, Les Chiens de garde,.... Jean Gaulnier avait été en khâgne avec Paul Nizan et me procura quelques revues éditées par un groupe de jeunes gens : Fruits Verts, La Revue sans titre, auxquelles avait collaboré Nizan.
Puis je fis par l'intermédiaire de Simone de Beauvoir la connaissance de Rirette Nizan et fus séduite par sa générosité, son ouverture et sa chaleur humaine. Je descendis à différentes reprises chez elle pour consulter les manuscrits et la correspondance de Nizan. Je fus impressionnée par son jeune talent de pamphlétaire, par la lucidité avec laquelle il avait vu l'URSS, bien avant nombre d'intellectuels français et par le courage avec lequel il avait rompu à la déclaration de guerre avec le Parti communiste, se mettant ainsi à cette époque au ban de la société communiste.
Je discutais de temps à autre avec Simone de Beauvoir et Sartre qui souhaîtaient le connaître davantage, leur ami torturé leur semblant toujours assez énigmatique.
J'entrepris un reportage pour la revue Atoll sur la vie de Nizan professeur alors au lycée de Bourg-en-Bresse, ville très conservatrice à l'époque. Nizan militait avec ardeur au Parti communiste parmi les ouvriers et plus spécialement parmi les sabotiers qui formaient à cette époque une très importante couche sociale. Chaque fois que je posai une question à ses anciens camarades du Parti, j'étais accueillie avec chaleur. Tout le monde avait envie de parler de Nizan, mais personne ne le connaissait vraimen. Il leur restait si impénétrable qu'un de ses anciens collaborateurs me confia un jour : «On se demandait pourquoi il nous fréquentait, car enfin on n'était pas de son monde». Et bien je crois que c'est parce qu'il cherchait des personnages de roman !
Plus tard, quand j'interviewais les intellectuels qu'il avait fréquentés dans le milieu parisien, un côté mystérieux de l'homme frappait souvent mes interlocuteurs. Certains anciens camarades du groupe «philosophies concrète» comme Henri Lebvèbre me semblaient même s'en méfier. Jalousie devant un homme qui avait si rapidement conquis une place importante dans la vie politique et culturelle de la métropole ?
Mon intérêt pour Nizan fut accru alors par la connaissance de deux étudiantes, l'une américaine, Suzanne Suliman, l'autre néo-zélandaise, Adèle King, qui toutes deux avaient choisi pour sujet de thèse Paul Nizan. Nous discutions avec passion pendant des heures sur cet intellectuel communiste difficilement pénétrable.
La soutenance de ma thèse fut houleuse. Le professeur Georges Gusdorf, un des membres du jury, m'interpella tout de suite en ces termes : «Madame, êtes-vous communiste?» – «Je ne répondrai pas à cette question qui n'a rien à faire avec ma thèse», fut ma réponse. – «Alors avez-vous été communiste?» – «Je ne répondrai pas non plus à cette question hors du sujet». Un autre membre du jury me félicita de mon sang froid.
Ma thèse soutenue, je fus contacté par les Maoistes qui voyaient en Nizan un modèle.
"Nizan... aujourd'hui !" : Après quarante ans je constate que Nizan inspire toujours la jeunesse, d'où les nombreuses activités qui lui sont consacrées.
[Jacqueline Leiner était notamment l'auteure de : Le Destin de Paul Nizan et ses étapes successives, Klincksieck, 1970]
En quête de Nizan - Jacqueline LEINER
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