Guy PALAYRET
(adhérent au G.I.E.N. depuis 2001 et membre de son Conseil d'Administration ; Rédacteur en chef de la revue Aden depuis le n° 6)
" Je me souviens... " : Ma rencontre avec l'oeuvre de Nizan date de 1970. " J'avais vingt ans . ", et je venais d'intégrer l'E.N.S. de Saint-Cloud (devenue depuis E.N.S. Lyon) ! Notre cursus prévoyait que nous effectuerions notre licence de Lettres modernes en relation avec les programmes de Paris X-Nanterre. Une UV, qui s'intitulait, je crois, " Littérature et politique ", comportait entre autres l'étude de deux oeuvres : Notre jeunesse de Péguy et Antoine Bloyé de Nizan. Je connaissais le premier de nom, pas du tout le second. Le contexte de l'époque donnait à ce genre d'étude une coloration particulière. Le climat était très politisé, beaucoup d'élèves de l'école étaient gauchistes, (la Gauche Prolétarienne d'Alain Geismar abritait ses ronéos dans les sous-sols de l'Ecole, au vu et au su de presque tous.) d'autres, les " révisos ", dont je faisais partie, adhéraient au P.C.F.. L'oeuvre de Nizan, réhabilitée par la fameuse préface de Sartre à Aden, commençait à être étudiée (je pense au livre pionnier de Jacqueline Leiner) après le long silence qui avait suivi la campagne de calomnies à la fin de la guerre. Elle constituait entre ces deux camps un enjeu ambigu et paradoxal, dont d'autres ont parlé bien mieux que je ne saurais le faire, en étudiant les réceptions successives de l'oeuvre nizanienne.
Antoine Bloyé rencontrait en moi des échos assez confus : issu d'un milieu modeste, propulsé par une suite étonnante de coups de chance dans une école prestigieuse, je m'y sentais très mal à l'aise, étranger, " surclassé " (au-dessus de ma condition, mais aussi dépassé par l'érudition de mes camarades). La trajectoire d'Antoine, en filigrane celle de Pierre Bloyé, entrait en résonance avec mon histoire personnelle. Tout naturellement le déroulement de l'UV nous conduisit à lire tous les romans, Aden Arabie, Les Chiens de garde, à nous intéresser à l'homme, et à son destin singulier. Un jeune (alors..) assistant de Saint-Cloud, Jean Goldzink, a servi à cet instant de " passeur " .
Trois ans plus tard, en 1973, l'agrégation en poche, je déposai un sujet de thèse d'Etat sur la critique littéraire dans la presse de gauche et d'extrême gauche des années 30 : j'avais l'ambition (folle) de cerner la naissance d'une critique littéraire marxiste en France dans ces années là. Je découvris le Nizan critique littéraire, et très vite je compris qu'il était le seul dont les articles pouvaient encore être lus par d'autres que les historiens et les érudits. Le livre de Susan Suleiman ( Pour une nouvelle culture, chez Grasset) qui proposait alors un corpus choisi de ces articles me confirmait dans cette idée. Pendant la dizaine d'années où je travaillais avec plus ou moins d'intensité à ce travail universitaire, j'ai fréquenté Nizan, avec d'autres, par rapport à d'autres : les écrivains prolétariens, les surréalistes, Aragon bien sûr, mais aussi Guéhenno, Chamson, Victor Serge, le débat allemand (Lukacs, Brecht, Benjamin) et bien d'autres, comme Malraux. J'ai croisé à cette époque beaucoup de chercheurs qui travaillaient sur des sujets voisins, comme Henri Béhar, Jean-Luc Rispail, aujourd'hui décédé, et Danielle Bonnaud-Lamotte, à qui je voudrais réserver plus particulièrement une place, celle du coeur, dans ces quelques lignes.
" Nizan... Aujourd'hui ! " : Je me suis éloigné de tout cela il y a vingt ans, au milieu des années 80, lorsque j'ai décidé d'abandonner mon travail. Il n'était plus pour moi, depuis, qu'un jalon dans mon parcours personnel, lorsqu'une lettre, à la trajectoire capricieuse, me rejoignit. C'était un mot d'Anne Mathieu qui m'informait de la création du G.I.E.N. et me demandait si je voulais y participer. Le reste est une histoire de nostalgie (de mes travaux de l'époque), de sympathie (que j'ai aussitôt éprouvée pour Anne Mathieu après l'avoir rencontrée), d'intérêt (pour une génération de jeunes chercheurs aux approches nécessairement autres que les miennes à l'époque, mais absolument passionnantes, avec l'accès à des documents essentiels).
Il semble bien que le temps est venu pour une approche de Nizan qui, tout en conservant le caractère passionné, partisan, qui est inhérent à l'homme et à l'oeuvre, lui restitue sa vraie place, dans un contexte où les prises de position militantes, aussi bien des années 47-50 que 68-75 ont perdu de leur acuité immédiate, et où les sources d'information permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé. J'ai pu constater, en effet, en renouant avec le G.I.E.N., que les années 30 qui ont été ma passion de jeunesse entrent dans l'Histoire, ce qui en change, me semble-t-il, le statut. Des événements comme celui de la " vente " Breton le confirment, dans un contexte différent mais qui m'est aussi très cher. J'ai toujours eu l'impression personnelle que, tous les dix ou quinze ans, des moments de ma vie cessaient d'être " actifs "et tombaient dans ce que j'appelle dans mon lexique personnel : " la mémoire ". Dans le cas de Nizan, deux pages successives se sont tournées, mais peut-être pour en ouvrir une troisième.
[Guy Palayret est né à Tunis en 1950. Après des études à l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud en 1969, il a obtenu l'agrégation de Lettres Modernes en 1972. Il a démarré en 1973 une thèse d'Etat sur le sujet : " Orientations de la critique littéraire dans la presse de gauche et d'extrême gauche (1927-1939) " . De ce travail qui ne sera jamais mené à terme subsistent une dizaine d'articles écrits seul ou en collaboration dans les années 1980-89 et publiés dans la revue Mélusine, la revue Europe, certaines publications du CNRS ou des actes de colloque de cette époque]
En quête de Nizan - Guy PALAYRET
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