Nicolas PLANCHAIS
(adhérent au G.I.E.N. depuis 2001 ; collaborateur régulier de la rubrique "Comptes rendus" de la revue Aden)
" Je me souviens... " : J'avais trente ans. Et je revenais du Tadjikistan. Nous étions à Paris, deux amis évoquant l'influence de nos grands frères respectifs. Le sien était maoïste et lui avait appris à faire la vaisselle dans un esprit prolétarien. Le mien était trotskiste et avait couvert les murs de notre chambre d'affiches en noir et blanc : " Tout le pouvoir aux soviets ". Jeune bourgeois, j'avais appris le Russe et l'Albanais. Lui, jeune provincial monté à Paris pour faire l'IDHEC, s'était plongé dans la lecture de Nizan. Il m'en parla avec nostalgie comme d'une passion de jeunesse à laquelle on a renoncé. Il tira de sa bibliothèque Les Chiens de garde dans la petite collection Maspero et me l'offrit. En rentrant, je feuilletais dans le métro sans vraiment accrocher. Pourtant, le week-end suivant, en explorant la bibliothèque de la maison de campagne familiale, je découvris la petite collection Maspero au complet sur Nizan : il y avait le bleu que j'avais déjà, mais aussi le vert et jaune. Mieux encore, il y avait Aden Arabie dans les cahiers libres n°8, avec la préface de Sartre. Cette porte fut la bonne et je m'y engouffrai aussitôt.
J'avais, quelques années plus tôt, caressé des rêves de fortune outre-mer comme planteur d'eucalyptus au Vietnam, puis comme vendeur de sucre en morceau dans l'ex-U.R.S.S. et je poursuivais maintenant, en cours du soir aux Arts et Métiers, des études de commerce sur les grands marchés internationaux de matières premières. La pseudo nouvelle mondialisation et ses instruments financiers inégaux m'apparaissaient plus clairement dans toute leur horreur. Face au credo libéral de mes professeurs, à la résignation des élèves, la révolte de Paul me réconfortait.
" Nizan... Aujourd'hui ! " : Mais je fus définitivement ferré, en découvrant dans le sommaire de Paul Nizan, Intellectuel communiste, un texte, " Sindobod Toçikiston " : Nizan avait été à Douchanbé en 1934, soixante ans avant moi. Je décidai de me rendre à l'I.M.E.C., alors rue de Lille non loin de mes chères Langues'O. En consultant les archives, dont les originaux dactylographiés de " Sindobod " et du " Tombeau de Timour ", une émotion particulière me saisit lorsque je pris son passeport avec ses cachets d'entrée en U.R.S.S., puis son petit calepin où étaient inscrits ses rendez-vous à l'hôtel Métropole de Moscou que je connaissais bien.
Mes recherches n'ont alors pas abouti à grand chose, sinon de lire avec délectation Antoine Bloyé et La Conspiration. Mais j'avais laissé mon adresse sur les registres de l'I.M.E.C. Deux ans plus tard, c'est par ce biais que Anne Mathieu me contacta avant de m'inviter au colloque de Nantes. Et c'est encore elle, qui, plus tard, en me demandant de l'aider à annoter "Sindobod", m'obligea à une lecture plus attentive pour faire une découverte. Le kolkhoze en construction où Nizan et Henriette avaient séjourné était celui-là même que j'avais sillonné pendant un an pour sa reconstruction après la guerre civile tadjik. C'était pure coïncidence si j'avais humé le même air chaud et sec, la même nuit, la même poussière des routes du district de Wakhsh. Seulement désormais, j'en arrive à inventer, presque quotidiennement, le moyen d'écrire un mail, de passer un coup de fil, de faire une recherche, une course, des voyages en Belgique, ou au minimum, d'orienter la conversation à propos de Paul Nizan.
PS : Après une telle tirade, j'en ai bien pour deux jours de tranquillité. Existe-t-il un patch ?
[Nicolas Planchais, né en 1964 à Paris, est comédien et voix-off]
En quête de Nizan - Nicolas PLANCHAIS
Index de l'article
Page 34 sur 42