Serge MEITINGER
(collaborateur au 1er n° de la revue Aden)
" Je me souviens... " :J'ai eu dix-sept ans en 1968, qui fut pour moi l'année du bac. Dans les années qui ont suivi, alors que j'étais en classe préparatoire, j'ai découvert Nizan, comme beaucoup de jeunes gens de ma génération, par la lecture d'Aden Arabie avec l'importante et déterminante préface de Sartre. Une exaltation certaine naissait en nous avec le célèbre : " J'avais vingt ans... " qui nous frappait comme l'évidence même. Nous n'avions pas encore vingt ans mais nous ne voulions surtout pas nous en laisser conter. Alors que je balançais entre un engagement communiste et un engagement gauchiste, – une certaine conscience critique des enjeux et des pratiques, des graves déficiences sensibles des deux bords, m'empêchant vraiment de sauter le pas -, c'est assez naturellement, que je résolus de faire, en 1972, ma maîtrise sur Nizan qui me semblait, lui, en mesure de m'éclairer sur la nature et la portée de l'engagement. Mais, en cours de rédaction, le sujet que j'avais d'abord choisi s'infléchit, passant de " Nizan et le réalisme socialiste " à " Paul Nizan et la mort " : c'était certes traiter la même problématique d'ensemble mais sous un aspect plus résolument personnel, intime, rappelant, au-delà des rapports de classes, l'entière dimension de l'humain que je voyais douloureusement se déployer dans le style même de l'auteur. [J'ai donné le résumé de ce travail dans le n° 1 d'Aden]
" Nizan... Aujourd'hui ! " : Si j'avais aujourd'hui à reprendre l'étude de Paul Nizan, je crois que je partirais de la conclusion que j'avais alors posée et qui était que le style surtout assume la part irréductible à toute analyse faite en termes de fonctionnement social ou de déterminisme socio-historique. Et, pour illustrer cette perspective, il me plairait de revenir à l'objet de notre éblouissement premier, je veux dire à Aden Arabie, pour mieux le mettre en contexte. Nous disposons des lettres écrites à sa fiancée par le jeune Normalien lors de son séjour à Aden, des poèmes essayés durant cette période et qui précédent le pamphlet sans le préfigurer exactement : de fait, l'écrivain encore débutant a médité et ménagé son effet, il a joué le rôle du pamphlétaire et monté son discours en connaissance de cause. Il ne serait pas mauvais de mettre en évidence les moyens et les résultats de cette rhétorique de la révolte, d'en analyser les audaces iconoclastes et le parfait classicisme, car ce mélange avait tout pour ravir des garçons qui, après tout, suivaient une voie analogue à celle de Nizan. Dans le reste de l'oeuvre également, il serait tentant de suivre l'évolution du style en rapport avec les thèmes abordés et de chercher le fil humain, de plus en plus humain, il me semble, qui court même parmi les brutalités inspirées par le parti pris idéologique. Ce serait vérifier que l'écrivain l'emporte toujours sur l'idéologue, l'homme sur le militant, ce que certains, post mortem, ne lui ont pas pardonné, on le sait.
[Serge MEITINGER, né en 1951, professeur de littérature française à l'université de La Réunion.
Nombreux travaux sur la poésie française moderne, de Baudelaire à nos jours (spécialiste de Tristan Corbière et de Mallarmé), sur la littérature et la poésie francophones (participe à l'édition des oeuvres de Jean-Joseph Rabearivelo). Écrit et publie aussi des poèmes.
Ouvrages : Stéphane Mallarmé (Hachette, Paris, 1995) ; Océan Indien, Madagascar - La Réunion - Maurice (anthologie de récits de voyages et de fictions, Omnibus, Paris, 1998) ; Henri Maldiney, une phénoménologie à l'impossible (direction d'un ouvrage collectif, Le Cercle herméneutique, collection Phéno, Paris, 2002)]
En quête de Nizan - Serge MEITINGER
Index de l'article
Page 26 sur 42